Décès de Ziad Rahbani : Le Liban perd une conscience artistique libre

Ziad Rahbani

L’icône de la musique et du théâtre libanais s’éteint à l’âge de 69 ans

BEYROUTH – Ziad Rahbani, le compositeur, dramaturge et pianiste libanais, est décédé samedi 26 juillet 2025 à l’âge de 69 ans d’une crise cardiaque, selon l’Agence nationale d’information du Liban. L’administration de l’hôpital Fouad Khoury à Hamra a confirmé le décès survenu dans la matinée à 9h.

Fils de la légendaire chanteuse Fairouz, l’une des voix les plus emblématiques du monde arabe, et du compositeur Assi Rahbani, co-fondateur de la musique arabe moderne, Ziad Rahbani s’était imposé comme une figure singulière de la scène culturelle libanaise, mêlant innovation musicale et engagement politique.

Un héritage artistique révolutionnaire

Né en 1956 à Antelias, près de Beyrouth, Ziad Rahbani avait montré des signes de talent précoce dès l’âge de 17 ans en composant sa première œuvre musicale. Contrairement à ses parents qui avaient construit l’âge d’or du théâtre musical libanais dans l’idéalisme et la nostalgie, Ziad s’était distingué par une satire irrévérente, une critique politique sans compromis et des partitions influencées par le jazz qui reflétaient le chaos et les contradictions d’un Liban en guerre contre lui-même.

Compositeur d’une portée saisissante, il avait infusé les mélodies arabes traditionnelles avec des influences jazz, funk et classiques, créant un son hybride instantanément reconnaissable. Ses collaborations avec sa mère Fairouz, notamment à la fin des années 1970 et dans les années 1980, avaient inauguré une phase plus sombre et politiquement engagée dans la carrière de la diva.

Théâtre engagé et critique sociale

Sa pièce révolutionnaire « Nazl el-Sourour » (L’Hôtel du Bonheur), créée en 1974 alors qu’il n’avait que 17 ans, dépeignait une société défigurée par les inégalités de classe et la répression. Cette œuvre tragicomique, qui suit un groupe d’ouvriers s’emparant d’un restaurant pour revendiquer leurs droits, révélait déjà son thème récurrent : la fracture de la société libanaise non seulement par la guerre, mais par un pouvoir enraciné.

Visionnaire, il avait dans ses pièces évoqué la guerre civile avant même son déclenchement en 1975, ainsi que les petites guerres qui s’ensuivirent, comme dans « Un long film américain » en 1980, qui se déroule dans un asile de fous. Ses œuvres théâtrales telles que « Bil nisbé la boukra chou ? » mêlaient satire politique, critique sociale et jazz engagé.

Un engagement politique assumé

Ziad Rahbani avait été un fervent partisan du Parti communiste libanais et un critique acerbe du confessionnalisme dans le pays. Lors de la guerre civile (1975-1990), il était resté à Beyrouth et s’était installé dans la partie ouest de la capitale. Issu d’une famille chrétienne, ses positions politiques et ses points de vue étaient considérés comme très radicaux par rapport à son environnement conservateur.

Son humour décalé et ses prises de position satiriques avaient fait de lui une icône de la scène artistique et culturelle libanaise. Dans les dernières années, les jeunes générations avaient redécouvert ses pièces en ligne et utilisé sa musique dans les mouvements de protestation.

Hommages officiels et populaires

Le président libanais Joseph Aoun a estimé que Ziad Rahbani était « une conscience vive, une voix qui s’était rebellée contre l’injustice, et un miroir sincère des opprimés et des marginalisés ». Le Premier ministre Nawaf Salam a déclaré que « le Liban perd un artiste exceptionnel et créatif, une voix libre qui est restée fidèle aux valeurs de justice et de dignité » et qui disait « ce que beaucoup n’osaient pas dire ».

La chanteuse libanaise Elissa a écrit sur X : « Ziad Rahbani n’était pas un artiste ordinaire… Avec sa perte aujourd’hui, le Liban a perdu une partie de lui-même et un grand morceau de sa mémoire collective ».

Un retrait progressif de la scène publique

Ces dernières années, Ziad Rahbani s’était pratiquement retiré de la scène artistique, faisant de rares apparitions en public, comme en 2018, lorsqu’il s’était produit au Festival de Beiteddine. Il avait continué à composer et à écrire, exprimant souvent sa frustration face à la stagnation politique du Liban et à la décadence de la vie publique.

Ziad Rahbani laisse derrière lui sa mère Fairouz, âgée de 90 ans, sa sœur Reema et son frère Hali. Son œuvre continue d’influencer les nouvelles générations d’artistes libanais et arabes, témoignant d’un héritage artistique et intellectuel qui transcende les frontières du Liban.

Avec la disparition de Ziad Rahbani, le Liban perd l’une de ses voix les plus authentiques et courageuses, un artiste qui avait su allier excellence artistique et engagement social, révolutionnant à jamais la scène culturelle de son pays.

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